FOUR MOVEMENTS TO THE MUSIC OF STEVE REICH
En 1982, une jeune chorégraphe de vingt-et-un ans fait une apparition fracassante sur la scène internationale avec Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. Pièce inaugurale de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, Fase est composée de trois duos et d’un solo, sur des compositions de Steve Reich, pionnier de la musique minimaliste américaine. Comme dans Rosas danst Rosas (1983), Anne Teresa De Keersmaeker se sert de la structure musicale pour développer son propre langage gestuel qui repose sur un mélange de rigueur et de simplicité. Danse et musique explorent le « décalage de phase » à l’intérieur d’un jeu de répétitions que la chorégraphe amplifie jusqu’au vertige. Par légers glissements, infimes variations, des mouvements synchrones se mettent doucement à se décaler, donnant naissance à un miroitement complexe de formes et de motifs en perpétuelle mutation à partir des matériaux spécifiques utilisés par Steve Reich — piano, violon, voix, rythme. Dans sa manière d’aborder la structure musicale, comme dans l’émergence du motif géométrique de la rosace avec ses entrelacs de courbes, Fase contient en germe tout le développement organique de l’oeuvre qui a suivi. Poursuivant son travail de répertoire, la chorégraphe transmet à deux jeunes danseuses cette pièce fondatrice qu’elle a elle-même dansée de manière presque ininterrompue depuis sa création. La découverte de cette artiste majeure se prolonge en mars avec la diffusion de la pièce Drumming (1998) au Zénith de Pau.
Première Mondiale 18/03/1982, Beursschouwburg (Bruxelles). Production 1982 Schaamte vzw (Bruxelles), Avila vzw (Bruxelles). Coproduction De Munt / La Monnaie, Sadler’s Wells (Londen/Londres/ London), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre de la Ville (Paris). Remerciements Ella De Vos, Stefano Scoli. Rosas bénéficie du soutien de la Communauté Flamande et de la Fondation BNP Paribas.
En 1982, une jeune chorégraphe de vingt-et-un ans fait une apparition fracassante sur la scène internationale avec Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. Pièce inaugurale de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, Fase est composée de trois duos et d’un solo, sur des compositions de Steve Reich, pionnier de la musique minimaliste américaine. Comme dans Rosas danst Rosas (1983), Anne Teresa De Keersmaeker se sert de la structure musicale pour développer son propre langage gestuel qui repose sur un mélange de rigueur et de simplicité. Danse et musique explorent le « décalage de phase » à l’intérieur d’un jeu de répétitions que la chorégraphe amplifie jusqu’au vertige. Par légers glissements, infimes variations, des mouvements synchrones se mettent doucement à se décaler, donnant naissance à un miroitement complexe de formes et de motifs en perpétuelle mutation à partir des matériaux spécifiques utilisés par Steve Reich — piano, violon, voix, rythme. Dans sa manière d’aborder la structure musicale, comme dans l’émergence du motif géométrique de la rosace avec ses entrelacs de courbes, Fase contient en germe tout le développement organique de l’oeuvre qui a suivi. Poursuivant son travail de répertoire, la chorégraphe transmet à deux jeunes danseuses cette pièce fondatrice qu’elle a elle-même dansée de manière presque ininterrompue depuis sa création. La découverte de cette artiste majeure se prolonge en mars avec la diffusion de la pièce Drumming (1998) au Zénith de Pau.
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker / Dansé par Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti ou Laura Bachman, Soa Ratsifandrihana / Créé avec Michèle Anne De Mey, Anne Teresa De Keersmaeker / Musique Steve Reich | Piano Phase (1967), Come Out (1966), Violin Phase (1967), Clapping Music (1972) / Lumières Remon Fromont Costumes 1981 Martine André | Anne Teresa De Keersmaeker / Directeur technique Marlies Jacques / Chef costumière Heide Vanderieck / Couturières Maria Eva Rodrigues-Reyes et Charles Gisèle / Techniciens Max Adams, Jonathan Maes, Quinten Maes, Michael Smets / Coordination artistique et planning Anne Van Aerschot / Première mondiale 18/03/1982, Beursschouwburg (Bruxelles) / Crédits photo : Anne Van Aershot
Anne Teresa De Keersmaeker
Anne Teresa De Keersmaeker est née en 1960 à Malines, en Belgique. En 1980, après des études de danse à l’École Mudra de Bruxelles, puis à la Tisch School of the Arts de New York, la jeune danseuse crée Asch, sa première chorégraphie. Deux ans plus tard, elle marque les esprits en présentant Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. En 1983, De Keersmaeker chorégraphie Rosas danst Rosas et établit à Bruxelles sa compagnie de danse Rosas. À partir de ces oeuvres fondatrices, Anne Teresa De Keersmaeker a poursuivi l’exploration obstinée des relations entre danse et musique. Elle a constitué avec Rosas un vaste corpus de spectacles qui s’affrontent aux structures musicales et aux partitions de toutes les époques, de la musique ancienne à la musique contemporaine en passant par ses expressions populaires. Sa pratique chorégraphique est basée sur les principes formels de la géométrie, l’étude du monde naturel et des structures sociales – ouvrant de singulières perspectives sur le déploiement du corps dans l’espace et le temps.
De 1992 à 2007, la compagnie Rosas a été accueillie en résidence au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Durant cette période, Anne Teresa De Keersmaeker a dirigé plusieurs opéras et de vastes pièces d’ensemble qui ont depuis intégré le répertoire de compagnies du monde entier. Dans Drumming (1998) et Rain (2001) – spectacles montés en collaboration avec l’ensemble de musique contemporaine Ictus – s’épanouissent de vastes structures géométriques, aussi complexes dans leurs tracés que dans leurs combinaisons, qui s’entremêlent aux motifs obsédants du minimalisme de Steve Reich. Ces chorégraphies de groupe sont devenues emblématiques de l’identité de Rosas. Au cours de sa résidence au Théâtre de la Monnaie, Anne Teresa De Keersmaeker a également présenté Toccata (1993) sur des fugues et partitas de Johann Sebastian Bach, dont l’oeuvre constitue un fil rouge dans son travail. Verklärte Nacht (écrit pour quatorze danseurs en 1995, adapté pour trois danseurs en 2014) a révélé l’aspect expressionniste du travail de la chorégraphe en valorisant la dimension narrative associée à ce sextuor à cordes d’Arnold Schönberg, typique du post-romantisme tardif. Elle s’est aventurée vers le théâtre, le texte et le spectacle transdisciplinaire avec I said I (1999), In real time (2000), Kassandra – speaking in twelve voices (2004) et D’un soir un jour (2006).
Elle a abordé la question de l’improvisation en travaillant à partir de jazz ou de musique indienne dans des pièces telles que Bitches Brew / Tacoma Narrows (2003) sur la musique de Miles Davis, ou Raga for the Rainy Season / A Love Supreme (2005).
En 1995, Anne Teresa De Keersmaeker a fondé l’école P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios) à Bruxelles en association avec La Monnaie.
Les pièces récentes d’Anne Teresa De Keersmaeker témoignent d’un dépouillement qui met à nu les ressorts essentiels de son style : un espace contraint par la géométrie ; une oscillation entre la plus extrême simplicité dans les principes générateurs de mouvements – ceux de la marche par exemple – et une organisation chorégraphique riche et complexe ; enfin, un rapport soutenu à une partition (musicale ou autre) dans sa propre écriture. En 2013, De Keersmaeker revient à la musique de Bach (jouée en direct, toujours) dans Partita 2, un duo qu’elle danse avec Boris Charmatz. La même année, elle crée Vortex Temporum sur la pièce éponyme écrite en 1996 par Gérard Grisey, caractéristique de la musique dite spectrale. L’ancrage de l’écriture gestuelle dans l’étude de la partition musicale y est poussé à un degré extrême de sophistication et favorise un méticuleux dialogue entre danse et musique, représenté par un couplage strict de chaque danseur de Rosas avec un musicien d’Ictus. En 2015, le spectacle est totalement refondu pour l’adapter au format muséal, durant neuf semaines de performance au centre d’art contemporain WIELS de Bruxelles, sous le titre Work/Travail/Arbeid. La même année, Rosas crée Golden Hours (As you like it), à partir d’une matrice textuelle (la pièce Comme il vous plaira de Shakespeare) qui sert de partition implicite aux mouvements, affranchissant exceptionnellement la musique de sa mission formalisante et lui autorisant une fonction nouvelle d’environnement sonore (il s’agit de l’album Another Green World de Brian Eno, 1975). En 2015 toujours, Anne Teresa De Keersmaeker poursuit sa recherche sur le lien entre texte et mouvement dans Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, une création basée sur le texte éponyme de Rainer Maria Rilke. Début 2017, l’Opéra de Paris invite la chorégraphe à mettre en scène Così fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart. En août de la même année, elle crée Mitten wir im Leben sind/Bach6Cellosuiten avec le violoncelliste Jean-Guihen Queyras. Sa nouvelle chorégraphie, sur les six Concertos brandebourgeois de Bach, a été créée à l’automne 2018.
Dans Carnets d’une chorégraphe, une monographie de trois volumes publiée par Rosas et les Fonds Mercator, la chorégraphe dialogue avec la théoricienne et musicologue Bojana Cvejic, et déploie un vaste panorama de points de vue sur ses quatre oeuvres de jeunesse ainsi que sur Drumming, Rain, En Atendant et Cesena.
Le choc de Fase ou l’échappée belge
Ce fut jeudi soir un grand moment d’émotion dans la salle de Rosas la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles. On y redonnait Fase mais cette fois dansé par deux jeunes danseuses et non plus par ATDK. Fase est pourtant sa pièce fétiche originelle qui donna d’emblée les clés de son parcours futur. En 36 ans elle l’a dansée des centaines de fois, y tenant comme Pina Bausch voulut toute sa vie danser encore Café Muller qui lança le Tanztheater. Si pour elle ce fut un deuil à faire, ATDK estimait qu’il était temps de transmettre sa chorégraphie à de jeunes et magnifiques danseuses comme elle l’a déjà fait avec d’autres pièces anciennes. Fase fut créé le 18 mars 1982 au Beursschouwburg à Bruxelles. ATDK rentrait de New York où elle avait travaillé un an. Elle n’avait que 21 ans et cette production dansée par elle et Michèle Anne De Mey fit l’effet d’une bombe.
Ce fut en Belgique le vrai début de la danse contemporaine et de ce qu’on a appelé la vague flamande du théâtre et de la danse. Très vite Fase tourna partout et fut invité en 1983 au Festival d’Avignon où Libé titra L’Échappée belge. Fase est composé de quatre parties toutes basées sur la musique répétitive du compositeur minimaliste américain Steve Reich : Piano Phase, Come Out, Violin Phase et Clapping Music. Ce sont chaque fois de courtes séquences musicales répétées sans cesse tout en se modifiant peu à peu.
Dans Piano Phase, deux danseuses parfaitement synchronisées tournent sur leur propre axe avec des mouvements pendulaires. Mouvements répétés mais jamais identiques avec d’invisibles décalages. Parfois elles se déphasent l’une par rapport à l’autre. D’emblée ATDK a montré qu’on peut allier une rigueur mathématique et combinatoire abstraite avec une forte émotion. Elle compare l’exercice mental exigé par l’exécution de cette danse "à la méditation une fois que la machine est lancée le déroulement est inexorable. Des mouvements qui rappellent les premiers mouvements que font les enfants, tourner, sauter, tourner les mains." Quand la danseuse tourne indéfiniment dans le solo Violin Phase, elle ne dissimule ni la douleur ni le plaisir dans cette lutte pour déployer des mouvements précis et complexes sur une longue durée. Dans Come out, les deux danseuses décrivent encore des cercles mais restent collées à leurs chaises. Dans Clapping Music, elles semblent avancer sans bouger.
D’emblée ATDK montrait son lien profond avec la musique, mais jamais mimétique. La musique structure le temps et la danse structure l’espace. Si ensuite l’art d’ATDK a considérablement évolué et varié, on le retrouve déjà en germe dans cette oeuvre d’une toute jeune femme. Pour cette recréation, elle a choisi deux duos de jeunes danseuses. Jeudi, c’était Yuika Hashimoto et Laura Maria Poletti. En alternance, il y a Laura Bachman et Soa Ratsifandrihana. Chacune dansant avec sa sensibilité, car Fase n’est pas qu’un épuisant et très difficile exercice physique et de mémoire, c’est aussi un spectacle d’où émergent des sentiments profonds. Le travail des danseuses est sur ce fil étroit entre formalisme strict et expression de l’âme. Les toutes petites erreurs jeudi soir étaient les bienvenues pour rappeler que l’exercice est d’une très grande difficulté et que Fase reste d’une radicalité déconcertante qui n’empêche jamais l’émotion.
Guy Duplat, La Libre Belgique, novembre 2018.