Il faisait trop beau (texte du spectacle)

Magali POBEL / Pierre-Johan SUC - Cie Androphyne
Création au Théâtre Saragosse

J’attends... j’attends tous ces instants qui me manquent.
Je ne cesse d’attendre. Je ne me souviens plus... je ne veux plus me souvenir...
Si, si... je veux me souvenir.
La nuit, je pense à rien...
Si, au contraire je pense à tout.
J’ai froid, alors je crie. Ça me réchauffe un peu.

La nuit... t’étais monté sans faire de bruit. Tu t’étais glissé à mes côtés, sans rien dire. Je dormais. Je faisais semblant de dormir, de rien entendre, de rien sentir. Je sentais ton souffle chaud dans mes cheveux. Il faisait noir. Je ne bougeais plus. J’arrêtais ma respiration. Dedans, mon corps vibrait, mais dehors il faisait le mort. J’étais pétrifiée.

Le lendemain, on ne s’était rien dit, on s’était souri simplement, comme si rien ne s’était passé. On échangeait des banalités en essayant de se convaincre qu’elles étaient importantes. Tu me racontais ton voyage extraordinaire, je te croyais pas vraiment et tu n’y croyais pas du tout. Mais ça me suffisait. Ta présence me remplissait. On faisait semblant de ne rien ressentir, de ne rien exprimer qui puisse compromettre ces instants de bonheur suspendus à je ne sais quel état de grâce. De temps en temps nos doigts s’échappaient innocemment, comme si nos mains s’étaient trompé de trajectoire. Sans se regarder. Il ne fallait pas se regarder, nos yeux nous auraient trahi. Il n’y avait que le silence pour prolonger l’émotion, à la rigueur des mots pour ne rien dire. Les sensations, on les avait encore à fleur de peau. Cette nuit passée était encore là. On y pensait tous les deux, on voulait pas se l’avouer. Les gestes hésitaient et se rattrapaient dans une pirouette.

Je ne t’ai jamais raconté cela. Pourquoi ai-je tant attendu ? Peut-être que les mots auraient gâché le mystère. Le mystère c’est mieux finalement, ça protège l’amour et les sentiments. Et si l’on met des mots sur les sentiments, ils s’évaporent. Ils sont perdus à jamais.

J’aurais voulu lui dire... j’aurais voulu t’écrire... mais il était trop tôt.

Maintenant c’est trop tard. J’attends et je regarde passer le monde entre le ciel et la mort. Personne ne regarde personne. Dans ce purgatoire des souvenirs, tout revient à ma mémoire. (rire) Je me souviens quand tu faisais le pitre. Tu grimpais à l’arbre, tu te suspendais aux branches. Tes cris m’effrayaient... enfin... je te faisais croire qu’ils m’effrayaient. Tu disais que tu imitais les danseurs et qu’ils étaient presque aussi doués que les singes. Avec un peu d’entraînement, ça viendra, disais-tu.

Quand j’étais petite, je pensais que les arbres parlaient une langue silencieuse que j’étais seule à comprendre. J’en étais tellement persuadée que j’écoutais le moindre mouvement des feuilles. Les arbres étaient des anges. J’imaginais qu’ils me disaient des choses à l’oreille. Je comprenais tout ce qu’ils me racontaient. Je ne l’ai jamais confié à personne, sauf à mon amie. Elle me disait que c’était pas bien de parler aux arbres, qu’ils pouvaient faire venir plein de malheurs.

Où es-tu ? (Chuchoté) Réponds-moi...

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