Le metteur en scène Tiago Rodrigues remonte avec un groupe de remarquables comédiens français sa pièce Bovary, créée en 2014 au Portugal. Il prend pour point de départ le procès dans lequel Gustave Flaubert fut accusé d’attentat à la morale, suite à la publication de Madame Bovary. Ayant pour base une adaptation libre du procès, la pièce intègre aussi le roman dans sa structure. Elle fait débattre la loi et la littérature, mêlant les procès-verbaux des audiences, la correspondance de Flaubert et certaines séquences du roman. Emma Bovary (Alma Palacios) se trouve sur le banc des accusés à côté de Flaubert (Jacques Bonnaffé). L’enchevêtrement des discours nous entraîne dans un voyage étymologique et intime. Toujours à la frontière entre vie publique et vie privée, entre réalité et fiction, Tiago Rodrigues se lance à la recherche de ce que Flaubert appelait lui-même « le mot juste ». Il restitue la soif éperdue de vie et de liberté d’Emma Bovary et débat de la portée révolutionnaire de la littérature.
Le metteur en scène Tiago Rodrigues remonte avec un groupe de remarquables comédiens français sa pièce Bovary, créée en 2014 au Portugal. Il prend pour point de départ le procès dans lequel Gustave Flaubert fut accusé d’attentat à la morale, suite à la publication de Madame Bovary. Ayant pour base une adaptation libre du procès, la pièce intègre aussi le roman dans sa structure. Elle fait débattre la loi et la littérature, mêlant les procès-verbaux des audiences, la correspondance de Flaubert et certaines séquences du roman. Emma Bovary (Alma Palacios) se trouve sur le banc des accusés à côté de Flaubert (Jacques Bonnaffé). L’enchevêtrement des discours nous entraîne dans un voyage étymologique et intime. Toujours à la frontière entre vie publique et vie privée, entre réalité et fiction, Tiago Rodrigues se lance à la recherche de ce que Flaubert appelait lui-même « le mot juste ». Il restitue la soif éperdue de vie et de liberté d’Emma Bovary et débat de la portée révolutionnaire de la littérature.
TEXTE ET MISE EN SCÈNE TIAGO RODRIGUES / D’APRÈS LE ROMAN MADAME BOVARY DE GUSTAVE FLAUBERT ET LE PROCÈS FLAUBERT / TRADUCTION FRANÇAISE THOMAS RESENDES / AVEC JACQUES BONNAFFÉ, DAVID GESELSON, GRÉGOIRE MONSAINGEON, ALMA PALACIOS ET RUTH VEGA-FERNANDEZ / LUMIÈRES NUNO MEIRA / SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES ÂNGELA ROCHA / CONSTRUCTION DÉCOR MARION ABEILLE / RÉGIE GÉNÉRALE FRANK CONDAT / AVEC LE SOUTIEN DE L’ÉQUIPE DU TNDMII ET PLUS PARTICULIÈREMENT RITA FORJAZ (PRODUCTION EXECUTIVE), ALDINA JESUS (CHEF HABILLEUSE) , GRAÇA CUNHA E DA LURDES ANTUNES (HABILLEUSES), CRISTINA VIDAL (SOUFFLEUSE) / crédit photos Pierre Grosbois
TIAGO RODRIGUES
est acteur, auteur dramatique et metteur
en scène. Son théâtre subversif et
poétique en fait l’un des plus éminents
jeunes artistes portugais. Profondément
enraciné dans la tradition théâtrale
collaborative, il a récemment créé des
pièces qui excellent dans leur façon de
manipuler documents et outils théâtraux,
de marier la vie publique et intime, de
défier notre perception de phénomènes
sociaux ou historiques.
L’« Occupation Bastille » de Tiago Rodrigues a bien commencé. Avant de créer de toutes « pièces » un spectacle
participatif avec le public et l’équipe du théâtre parisien, le metteur en scène portugais a présente sa nouvelle création
en français : « Bovary ». Une plongée envoûtante dans l’oeuvre de Flaubert, qui, par une voie détournée - le procès
intenté à l’écrivain en 1857 pour immoralité -, fait rebattre à tout rompre le coeur de l’héroïne. Emma ressuscite sous
nos yeux, amoureuse et libre pour l’éternité.
Le directeur du Teatro nacional Dona Maria II à Lisbonne a un côté chaman, dans sa façon de tout transformer en
matière théâtrale. D’abord, paraît Flaubert (Jacques Bonnaffé) lisant une lettre adressée à sa chère Elisa Schlésinger,
dans laquelle il se plaint du sort néfaste réserve à son livre. Puis s’ouvre le procès, où s’opposent le redoutable Pinard
(Ruth Vega-Fernandez) pour l’accusation et le madré Sénard (David Geselson) pour la défense. Afin de bien
argumenter, il faut d’abord raconter le roman - ce que fait l’accusation ; puis le passer à la loupe (le décor se borne
justement à un lit de feuilles éparses jetées sur le sol nu et à des loupes suspendues par des fils à des paravents de
bois). Les passages incriminés deviennent des saynètes où apparaissent Emma (Alma Palacios) et Charles Bovary
(Grégoire Monsaingeon).
Peu à peu, l’oeuvre se matérialise sur scène. Les personnages s’échappent du procès... et du roman. Emma s’affranchit
de son auteur, qui en son for intérieur est d’accord avec le procureur : « Madame Bovary » est un livre subversif
qui vise à détruire la morale bourgeoise, prône la loi du désir et l’amour libre.
Rodrigues maîtrise avec naturel et fluidité ce chasse-croisé entre histoire, littérature et théâtre. Cultivant le côté « free
style » du théâtre de plateau-gags potaches, intermèdes aux allures d’impros -, il multiplie les morceaux de bravoure :
une hallucinante scène de bal aux accents funky, les « abandons » amoureux échevelés d’Emma...
Les comédiens, d’une justesse intime, changent sans cesse d’humeur, de ton et de rôle : les magistrats se
métamorphosent en amants - Rodolphe, Léon. Tout le monde aime Emma - sur scène comme dans la salle - et
participe à la consolidation du mythe. On rit, on s’émeut, jusqu’à cette fin bouleversante où la créature échappe
définitivement à son maître. Les feuilles du livre serrées sur sa poitrine, Madame Bovary nous observe du haut de son
immortalité.
Phillippe Chevilley, Les Echos, 14 avril 2016.
ACCUSÉE EMMA BOVARY, LEVEZ-VOUS !
Tiago Rodrigues, directeur du Théâtre national de Lisbonne, monte Bovary, d’après le procès intenté à Flaubert pour
« outrage à la morale publique et religieuse ». Un des plus beaux spectacles de la saison. (…)
Les cinq protagonistes de Bovary arpentent l’espace, jetant à leurs pieds des feuilles blanches par poignées. Sur ce sol
blanchi de pages arrachées à la littérature et foulées aux pieds, nous allons assister à l’un des procès les plus
incroyables, mené de main de maître par deux hommes férus de littérature mais que tout oppose dans leurs
convictions philosophiques, politiques et religieuses. Le premier est le procureur impérial Pinard. Le second est maître
Sénard, l’un des meilleurs avocats du barreau de Paris. La tension est là, palpable. Phrase pour phrase, mot pour mot :
l’un attaque, démontre, accuse, le regard et le geste inquisiteurs. L’autre pare, contre-attaque, retourne l’argument.
La littérature, la fiction sont au coeur de ces échanges survoltés, vifs, passionnés. Mais aussi la religion, la liberté, la
transgression… (…)
Comment rendre compte au théâtre du procès, de ces allers-retours incandescents avec le roman jusqu’à en effacer
les frontières ? Tiago Rodrigues est un magicien et tout ce qu’il touche se transforme en or. L’été dernier, sa mise en
scène d’Antoine et Cléopâtre, au festival d’Avignon, nous avait bouleversés. Son Bovary nous emporte loin, créant des
instants suspendus parsemés d’éclats aussi sombres, noirs, bruns ou bleus, que les yeux d’Emma qui, soudain,
illuminent la pièce. On devine la passion de Tiago Rodrigues non seulement pour le procès dont il a saisi l’enjeu jusque
dans ses arcanes, mais aussi pour le livre de Flaubert. Car lire Madame Bovary est et reste encore une des expériences
les plus palpitantes, les plus enthousiasmantes qui nous soit donnée.
Marie-José Sirach, l’Humanité, 18 avril 2016
LA CHRONIQUE DE FABIENNE PASCAUD
Rodrigues aime à réécrire, adapter et tordre jusqu’au sang les chefs-d’oeuvre du répertoire. Il l’a fait avec les tragiques
grecs, Shakespear (l’admirable Antoine et Cléopâtre présenté au Festival d’Avignon 2015). Il a le génie de plonger au
coeur des oeuvres, de savoir en partager l’essentiel. Ainsi sa « réduction » de Madame Bovary à quelques
personnages clés, joués parfois par les mêmes comédiens, est-elle étonnamment lumineuse, alors que Flaubert est
aussi sur le plateau, même impuissant à réagir (Jacques Bonnaffé, très drôle), et que les avocats bataillent sur le
vénéneux personnage d’Emma. Malgré quelques complaisances, longueurs et facilités de jeu, quelques effets
musicaux inutiles, l’exercice est virtuose. Rodrigues parvient à faire saisir tous les enjeux à la fois : la beauté du roman,
la fascination qu’exerce son héroïne (Alma Palacios, toute de grâce empêchée, de frustrations discrètes et
douloureuses), la folie et les tourments qu’elle inspire à la censure d’Etat comme à son créateur.Dans l’espace vide et
modeste au sol juste jonché de pages, et que seuls quelques translucides et mobiles paravents viennent délimiter, le
dramaturge sait ainsi faire entendre la force contagieuse de l’art contre laquelle toutes les censures du monde ne
pourront jamais rien. Un spectacle manifeste. Ici, sur la scène du Théâtre de la Bastille, le roman de Flaubert se
métamorphose en irrésistible fièvre, qui monte, monte. Et on finit amoureux de cette Emma Bovary dont
l’insatisfaction autoproclamée sera la marque des siècles à venir, l’étalon de nos impuissances et de nos regrets. Celle
qui voulait tant être une « héroïne de Balzac » et n’a trouvé autour d’elle que la médiocrité renvoie aux désillusions
aujourd’hui affichées, publiques et privées, de nos sociétés déboussolées. Le geste artistique de Tiago Rodrigues
devient politique. Si la littérature et l’art font si peur au pouvoir, semblent comme du temps de Flaubert une méchante
épidémie à éradiquer, tant mieux. C’est qu’ils peuvent changer, peut-être, le regard du public. C’est tout le sens de
son audacieuse aventure au Théâtre de la Bastille. Il y croit encore. Et du coup, nous aussi.
Fabienne Pascaud, Télérama, 23/29 avril 2016.
BOVARY : DU PORTUGAL A LA FRANCE
En juin 2014 au Théâtre São Luiz à Lisbonne, Tiago Rodrigues présente Bovary, pièce qu’il a lui-même écrite et dans
laquelle le procès de Gustave Flaubert pour attentat à la morale sert de point de départ à une adaptation de son chefd’oeuvre,
Madame Bovary. Bovary mêle les procès-verbaux des audiences, la correspondance de Flaubert et certaines
séquences du roman. Plus que mise en scène, l’oeuvre littéraire finit par être “convoquée” sur scène, pour un débat sur
l’immunité de l’art et les limites de la pensée légale appliquée aux utopies artistiques. Dans une Europe en crise, une
Europe dont les valeurs fondamentales sont en jeu et où les risques de régressions civilisationnelles sont réels, il
convient de se demander jusqu’à quel point l’art peut à nouveau, comme en 1856, repousser les limites de la tolérance,
de la vie publique et de la liberté. Débat idéologique bien sûr. Mais ce spectacle est aussi un débat de langages.
L’enchevêtrement des discours d’avocats, de la voix de l’auteur et des répliques des personnages, c’est également
l’enchevêtrement du langage légal, du langage intime et du langage artistique. Emma Bovary se trouve sur le banc des
accusés à côté de Flaubert, tout comme ce dernier se trouve à côté d’elle dans ses amours clandestines. Dans cette
Babel de langues et de documents, toujours à la frontière entre vie publique et vie privée, entre réalité et fiction, Tiago
Rodrigues se lance à la recherche de ce que Flaubert appelait lui-même « le mot juste ».
Pour sa reprise en France, Tiago Rodrigues a accepté l’invitation du Théâtre de la Bastille de recréer ce spectacle avec
des comédiens français. Plus qu’une reprise, il s’agit pour Tiago Rodrigues de réouvrir le travail en collaboration avec
une nouvelle équipe : Jacques Bonnaffé, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alma Palacios et Ruth Vega
Fernandez.
NOTE D’INTENTION
Le point de départ de Bovary qui sera joué en avril 2016 au Théâtre de la Bastille, est aussi un aboutissement. Je suis
appelé à créer une pièce dans une distribution française, à partir d’un texte que j’ai écrit et que j’ai moi-même mis en
scène au Portugal en 2014. « C’est une recherche artistique », comme dirait Monsieur Sénard, l’avocat de la défense
de Flaubert en 1857. C’est une recherche artistique inédite dans mon parcours.
Cette pièce est tirée du procès dans lequel Gustave Flaubert fut accusé d’attentat à la morale à la suite de la
publication de Madame Bovary en fascicules dans la Revue de Paris. Ayant pour base une adaptation libre du procès,
elle intègre aussi le roman dans sa structure. Elle fait débattre la loi et la littérature. Elle prône une Babylone de mots :
légaux et littéraires, rhétoriques, politiques et poétiques. La possibilité de recréer cette pièce en langue française
correspond à un voyage étymologique et intime qui nous conduit à la source du débat de cette pièce : le danger des
mots.
J’écris en collaboration avec les acteurs. J’entre dans la salle de répétition avec quelques pages qui sont
habituellement le début de la pièce. Nous discutons. Nous buvons du café. Nous lisons à haute voix. C’est très
important de lire à haute voix. Nous lisons le roman de Flaubert à haute voix. Nous faisons des recherches sur les
scandales artistiques et nous débattons de cette riche frontière où se confrontent l’art et la loi. Et la pièce surgit.
Chaque matin, quelques pages venaient nourrir la répétition de l’après-midi. Jusqu’au jour de la première, le texte a été
ajusté en consultant de façon permanente le roman cité des centaines de fois tout au long de la pièce, tout en pensant
au partage de la parole.
Comment faire alors pour partager cette pièce avec des acteurs d’un autre pays, quand elle a été écrite en étroite
collaboration avec des acteurs portugais ? Avec des acteurs si proches de mon travail ? Tout en reconnaissant nos
affinités artistiques, il est certain que ce n’est pas la même intimité qui me lie à cette extraordinaire équipe française
que nous avons réunie. Mais cette distance est compensée par la proximité qu’ils ont avec la langue originale de
Flaubert, du pouvoir symbolique d’Emma Bovary, du débat politique français sur la morale, la religion et les bonnes
moeurs des années 1856 jusqu’en 2016. L’équipe française connaît Madame Bovary « de l’intérieur ». Ce sont 160 ans
d’intimité avec la France que cette équipe offre au texte qu’un petit portugais a osé écrire à partir de Flaubert. Voilà ce
que sera cette collaboration, et je m’y engage tout en considérant que la pièce que j’ai écrite en 2014 n’est rien de
plus que ces premières pages que j’amène habituellement à la première répétition. Il y aura l’espace de tout repenser,
et même d’en réécrire la matière. Ce sera un spectacle entièrement neuf, construit sur la mémoire d’un travail antérieur.
Une nouvelle discussion et une rencontre créative avec mon propre travail. Le point de départ et l’aboutissement.
De toutes les fois où j’ai travaillé comme acteur en France (depuis la première fois à Toulouse avec la compagnie tg
STAN en 2001 jusqu’à plus récemment avec la pièce By Heart), j’ai toujours entendu les spectateurs dire qu’en
entendant un acteur étranger parler français, ils retrouvaient la langue française, sa mélodie et son pouvoir évocateur.
Avec ce nouveau Bovary, je chercherai à aller plus loin dans cet exercice. Les mots seront dits sur scène par des
français, mais écrits par un portugais qui utilise la France et son histoire pour penser le monde. Flaubert et Bovary
seront pensés par un étranger dans le pays et dans la langue de Flaubert et de Bovary. Comme pour rappeler au public
la mélodie et le pouvoir de ce roman. Le point de départ et l’aboutissement.
Tiago Rodrigues, Lisbonne, Décembre 2014