Quand la poésie rencontre l’épure en son point d’équilibre : le circassien Yoann Bourgeois creuse avec une acuité lumineuse la place dérisoire de l’humain dans le jeu des forces physiques qui nous entourent : gravité, force centrifuge... Pour Celui qui tombe, il engage cinq individus sur une plateforme mobile qui s’érige, s’incline, se met en rotation, se dérobe sous leurs pieds et les projette dans une course vertigineuse et accidentée. Ce jeu entre le contrôle et la chute impose une prise de risque, tant physique qu’esthétique. Variant les registres comme les rythmes, la pièce reflète l’humour et la gravité qui caractérisent le travail de Yoann Bourgeois (L’Art de la fugue, Minuit), où l’apesanteur la plus miraculeuse se confronte à la chute brutale des corps. Les interprètes s’agrippent, dérapent, enjambent ceux qui tombent et s’organisent tant bien que mal pour leur survie. Dotés d’une énergie saisissante qui révèle l’animalité des corps, ils s’entraident, se tiennent par la main, s’équilibrent, s’agglutinent, collectifs et solitaires face au vide qui les aspire. Celui qui tombe est un hommage burlesque et tragique à la gravité physique, une farandole magnifique qui illustre la précarité de l’existence.
« J’aime reconstruire des dispositifs physiques permettant d’amplifier un rapport de forces qui contraint l’acteur et se joue de lui. Le sens émerge donc de cette lutte, de ce corps à corps entre le dispositif et l’individu. » Yoann Bourgeois

Quand la poésie rencontre l’épure en son point d’équilibre : le circassien Yoann Bourgeois creuse avec une acuité lumineuse la place dérisoire de l’humain dans le jeu des forces physiques qui nous entourent : gravité, force centrifuge... Pour Celui qui tombe, il engage cinq individus sur une plateforme mobile qui s’érige, s’incline, se met en rotation, se dérobe sous leurs pieds et les projette dans une course vertigineuse et accidentée. Ce jeu entre le contrôle et la chute impose une prise de risque, tant physique qu’esthétique. Variant les registres comme les rythmes, la pièce reflète l’humour et la gravité qui caractérisent le travail de Yoann Bourgeois (L’Art de la fugue, Minuit), où l’apesanteur la plus miraculeuse se confronte à la chute brutale des corps. Les interprètes s’agrippent, dérapent, enjambent ceux qui tombent et s’organisent tant bien que mal pour leur survie. Dotés d’une énergie saisissante qui révèle l’animalité des corps, ils s’entraident, se tiennent par la main, s’équilibrent, s’agglutinent, collectifs et solitaires face au vide qui les aspire. Celui qui tombe est un hommage burlesque et tragique à la gravité physique, une farandole magnifique qui illustre la précarité de l’existence.
« J’aime reconstruire des dispositifs physiques permettant d’amplifier un rapport de forces qui contraint l’acteur et se joue de lui. Le sens émerge donc de cette lutte, de ce corps à corps entre le dispositif et l’individu. » Yoann Bourgeois
Yoann Bourgeois
Acrobate, acteur, jongleur, danseur, Yoann Bourgeois évolue dans le cirque, le théâtre, la danse, l’opéra, la musique ou le cinéma. À l’école du Cirque Plume, il découvre les jeux de vertiges. Plus tard, il sort diplômé du Centre national des arts du cirque (Cnac) de Châlons-en-Champagne qu’il aura traversé en alternance avec le Centre national de danse contemporaine d’Angers. Il collabore avec Alexandre Del Perrugia, et Kitsou Dubois pour des recherches en apesanteur. Il devient ensuite artiste permanent du centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, compagnie Maguy Marin. Après les reprises de May B et Umwelt et deux créations, Turba en 2007 et Description d’un combat en 2009, il entame en 2010 son propre processus de création.
Accompagné dès lors de Marie Fonte, il initie l’Atelier du Joueur, centre de ressources nomade pour le spectacle. Cet atelier réunissant des artistes issus de différents champs pose d’emblée les bases de ce qui deviendra la Compagnie Yoann Bourgeois.
Avec ses complices, c’est à Grenoble, où il est né 28 ans auparavant, qu’il choisit de vivre pour implanter la compagnie naissante. La MC2 : Grenoble lui confie le soin d’investir le belvédère Vauban. Cette création in situ donne Cavale. Ce duo interprété à présent avec Mathurin Bolze se joue dans des panoramas impressionnants, et suscite par le vertige une dimension éternelle de l’éphémère. Un premier cycle de création s’amorce alors autour de grandes œuvres musicales, permettant à cette nouvelle écriture du cirque de s’émanciper de la tyrannie toute puissante du « spectaculaire ». Ce cycle fait naître, en 2010, Les Fugues (sur L’Art de la Fugue de J.S. Bach), en 2011, L’Art de la Fugue et, en 2012, Wu-Wei (créé pour des artistes de l’Opéra de Pékin). Cette même année, la compagnie crée le Centre international de recherches circassiennes (CIRC) par ses nombreux voyages en Chine pour établir une généalogie du geste acrobatique. Par leur pluridisciplinarité intrinsèque, les premières créations engendrent de riches collaborations avec de grands musiciens comme Sonia Wieder-Atherton, Alexandre Tharaud, le Balkan Baroque Band, Célimène Daudet.
2013 est une année de transition où Yoann Bourgeois initie un programme inédit de transmission de ses pièces dans les écoles supérieures de cirque. Convaincu que les artistes de cirque doivent se réapproprier leurs histoires, ce projet soutenu par la SACD vise à réfléchir aux conditions d’apprentissage du cirque pour que l’émergence d’un répertoire puisse avoir lieu.
En 2014, un second cycle de créations vise à radicaliser son geste artistique. Il approfondit la dramaturgie dans son sens étymologique : un tissage des actions. Cette recherche fait naître Celui qui tombe, pièce pour six interprètes créée en septembre 2014 à l’Opéra de Lyon pour la Biennale de la danse. Parallèlement, une recherche solitaire autour de dispositifs physiques, permettant à l’individu de se multiplier comme autant de sujets, fera naître Les Paroles impossibles. La constellation de ces projets laisse apparaître une attraction pour le point de suspension. Une Carte Blanche offerte par le Théâtre de la Ville à Paris l’encourage à inventer une forme, toujours en devenir, qui donne à voir cette constellation : Minuit, Tentatives d’approches d’un point de suspension.
L’insoutenable gravité de l’être
Dans Celui qui tombe, de Yoann Bourgeois, six comédiens tentent de garder leur équilibre sur une plateforme suspendue. Le dispositif suggère à la fois le tapis volant d’un conte persan, une attraction de fête foraine, ou un scénario de film catastrophe.
Puisqu’il faut bien donner une dénomination aux spectacles de Yoann Bourgeois, optons pour « cirque ». Mais, depuis ses débuts ou presque, l’artiste - qui signe ici « conception, mise en scène et scénographie » - veille à s’affranchir des codes pour devenir tout bonnement, à l’instar d’Aurélien Bory, une des figures majeures de la création hexagonale au sens le plus aventureux et inclassable du terme.
Créé en septembre 2014 à la Biennale de la danse de Lyon et visible ces jours-ci au théâtre de la Ville de Paris, Celui qui tombe apporte en tout cas une nouvelle preuve étourdissante du singulier talent de Yoann Bourgeois qui, depuis 2010 tourne à la moyenne assez folle d’une à deux création par an. Initialement référencé comme chorégraphe, jongleur et acrobate, le Jurassien témoigne ainsi d’une rare acuité dans à peu près tout ce qu’il entreprend avec les membres de la compagnie qui porte son nom. Sur scène, du reste, ceux-ci ne sont pas de grands bavards, trouvant dans leurs moindres gestes et déplacements d’autres modes d’expression en lien avec le contexte très particulier dans lequel le metteur en scène a choisi de les plonger. Car, comme souvent chez Bory également, l’élément le plus déterminant provient du décor inventé pour l’occasion. A savoir, ici, une grande plateforme carrée (6 mètres sur 6, à vue d’oeil) qu’on découvre d’abord suspendue en l’air, à cinq ou six mètres du sol, puis s’inclinant avec, posée dessus, six êtres humains qui s’y agrippent.
Suggérant à la fois le tapis volant d’un conte persan, une attraction de fête foraine, un scénario de film catastrophe (quoique à l’opposé de l’artificialité des effets numériques), ou un simple jeu d’enfant où la notion de danger n’a rien de feint, la machinerie de Yoann Bourgeois va ainsi, une heure cinq minutes durant, explorer toutes les potentialités de ce dispositif extraordinaire (tout comme l’était le cube de bois de son Art de la fugue, qui l’a révélé au grand public en en 2011).
Accroché à quatre filins, le plateau, qu’on entend craquer comme la coque d’un rafiot, finit bien par descendre ; mais l’inconfort perdure quand, tel un manège infernal, il se met à tourner à toute vitesse sur son axe, condamnant le microcosme paritaire (trois hommes, trois femmes) qui l’habite à chercher telle ou telle improbable posture permettant de garder un semblant d’équilibre, et de cohésion.
D’une évidente portée métaphorique, Celui qui tombe interroge la condition humaine, la périlleuse déclivité du carré de bois clair renvoyant implicitement aux mille et une misères rencontrées sur Terre par des humains qui, eux-mêmes, n’ont pas toujours un comportement irréprochable. De la simple secousse au pire séisme, il n’y a parfois qu’un pas mais celui-ci peut cruellement manquer d’assurance tant la précarité de la situation tend à devenir une donnée constante dans nos sociétés modernes… Dominée par l’esprit de groupe, la pièce renvoie à cette évidente notion de solidarité qui permet de surmonter les situations les plus compliquées, voire désespérées. Alternant les registres (poétique, tendre, humoristique…) comme il varie les rythmes – du temps suspendu, littéralement, à la course éperdue où il faut enjamber les corps affalés -, Celui qui tombe emporte de bout en bout l’adhésion, magnifique parabole d’une farandole existentielle tour à tour grave et dérisoire sur fond de Callas, My Way ou Didon et Enée de Purcell.
Gilles Renault, Libération, 2015.