Editorial Festival 2001
Au centre du festival de danse, le solo et le duo, ces formes que l’on rechigne à découvrir parce qu’elles sont réputées non-spectaculaires, ou ennuyeuses. Nous sommes tellement habitués au « spectacle » qu’on en oublie la finesse de l’humain ; ce creuset où s’invente l’intimité universelle. Témoin ce solo, « Entrailles de Narcisse », une création, et ce duo puissant « Rivermen ». Bud Blumenthal de Bruxelles fit l’unanimité l’an dernier à la Commanderie. Il est, cette année, le témoin privilégié de ces formes complexes et riches, en ouverture de ce 8e festival.
Pourquoi faut-il, en effet, s’obstiner à refuser ces formes de danse ? Le solo et le duo sont, sans doute, parmi les recherches les plus exigeantes. Quand on est plusieurs, on peut compter sur les autres. Quand on est tout seul, il faut entrer en relation avec les partenaires absents. Mary Wigman parlait de « partenaire invisible »...
Nous voici donc au cœur d’un engagement des plus difficiles, au point que Christiane Blaise chorégraphie deux solos, l’un pour Alfred Alerte, l’autre pour Sandrine Maisonneuve, sur le thème de la solitude, justement, pour répondre par la danse à ces questions que l’on fuit ; pour laisser aller le corps en ses divers états de présence et traverser, au passage, des territoires où chacun est convié, tant le propos s’adresse au cœur de l’être.
Et puis, dans le filigrane du solo, ce festival est un « entre-deux ». Soixante ans séparent la petite fille de sa grand-mère. Elles dansent ensemble. Entre deux générations de chorégraphes, les anciens partagent le même plateau avec les tout neufs. Cette année, nous sommes particulièrement servis par la nouvelle génération de chorégraphes : Laure Bonicel, une approche de la matière charnelle ; Pierre-Johann Suc, jeune chorégraphe d’Aquitaine ; Anne Lopez, la révoltée aux yeux de velours, et Christine Jouve, toute en poésie, pour conclure en beauté ce festival de danse. Huit créations, ou très récentes créations, ponctuent ce mois de l’échange des corps.
La danse d’un état à l’autre... De Thierry Niang, dans son humanité explorée ; du corps retrouvé de Michèle Rust, jusqu’à Karine Pontiès de Belgique qui, sous une apparence anecdotique, pénètre les univers croisés de l’humain. Et puis, Nathalie Collantès qui ouvre des deux côtés à la fois : côté chorégraphe pour se remettre en question et poser le corps dans l’entrelacs de l’image ; et côté danseurs, pour accepter d’abandonner les élégantes performances. « Algo sera », ce sera ce que vous verrez. Mais tout n’est pas encore dit, il manquait à ce rendez-vous les pays voisins. De la Belgique à la Catalogne - la belle exposition d’Eva Ferrés - en passant par l’Italie : Caterina Sagna vient de Venise. Trois moments lui sont ouverts. Elle porte dans son corps longiligne la beauté des « Exercices spirituels », mis en contraste avec l’exubérance de « La Signora », différentes facettes de la culture italienne.
Les territoires du corps n’ont jamais été aussi multiples dans la danse de notre temps. Daniel Dobbels, ce chorégraphe au regard présent, extrait l’essence du corps, à la Commanderie, en deux pièces qu’il n’est pas exagéré de qualifier de magnifiques : « She never stumbles... », un solo dansé par Brigitte Asselineau sur la musique de Bob Dylan, et un quatuor « Le plan mortel » qui traverse les corps opaques pour en communiquer la clarté .
Les corps transitent en nos territoires pour y révéler les transparences de l’être oublié. La force poétique, cette indicible parole ne vacille jamais. Dobbels mène ces territoires jusqu’à l’infime limite : « La danse serait cet art étrange où à tout moment il n’y aurait jamais d’endroit où tomber. Pas de lieu où la danse trouverait l’échéance, la chute, le point de chute de son mouvement. »