Le 3 août 1967, la cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon vibrait au son des jerks de la Messe pour le temps présent, composée par Pierre Henry et Michel Colombier en vue du « spectacle total » imaginé par Maurice Béjart. Course effrénée, mouvements individuels et collectifs, liberté et insouciance, la chorégraphie traduit une vision décontractée et conquérante de la jeunesse des années 60. Cinquante ans plus tard, ce sont les jeunes étudiants du Centre national de danse contemporaine d’Angers qui revêtent jeans, baskets blanches et tee-shirts, à la suite des danseurs du Ballet du XXe siècle pour ces dix minutes toniques transmises par le Ballet Béjart de Lausanne. Une seconde pièce, Grand Remix, dont Pierre Henry assure également la composition, propose une relecture actuelle de la Messe. Le compositeur découpe, superpose, accélère ou ralentit les pulsations familières de sa musique pour en faire une nouvelle transe urbaine, complètement contemporaine. Plus qu’une messe, le Grand Remix évoque ici un autre type de rassemblement ou de rituel collectif : la rave party. Hervé Robbe s’en nourrit pour réécrire les mouvements chorégraphiés par Maurice Béjart en les isolant et en les dupliquant à l’infini. Croisant les lignes, démultipliant les effets, ces mouvements prennent une dimension plus ample, universelle. La pièce sera suivie d’une rencontre avec Hervé Robbe et les interprètes de la pièce.
Remerciements à la Fondation Maurice Béjart pour son aimable autorisation et à l’association Son/Ré pour son soutien Production Centre national de danse contemporaine - Angers
Le 3 août 1967, la cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon vibrait au son des jerks de la Messe pour le temps présent, composée par Pierre Henry et Michel Colombier en vue du « spectacle total » imaginé par Maurice Béjart. Course effrénée, mouvements individuels et collectifs, liberté et insouciance, la chorégraphie traduit une vision décontractée et conquérante de la jeunesse des années 60. Cinquante ans plus tard, ce sont les jeunes étudiants du Centre national de danse contemporaine d’Angers qui revêtent jeans, baskets blanches et tee-shirts, à la suite des danseurs du Ballet du XXe siècle pour ces dix minutes toniques transmises par le Ballet Béjart de Lausanne. Une seconde pièce, Grand Remix, dont Pierre Henry assure également la composition, propose une relecture actuelle de la Messe. Le compositeur découpe, superpose, accélère ou ralentit les pulsations familières de sa musique pour en faire une nouvelle transe urbaine, complètement contemporaine. Plus qu’une messe, le Grand Remix évoque ici un autre type de rassemblement ou de rituel collectif : la rave party. Hervé Robbe s’en nourrit pour réécrire les mouvements chorégraphiés par Maurice Béjart en les isolant et en les dupliquant à l’infini. Croisant les lignes, démultipliant les effets, ces mouvements prennent une dimension plus ample, universelle. La pièce sera suivie d’une rencontre avec Hervé Robbe et les interprètes de la pièce.
Chorégraphe des jerks de la Messe pour le temps présent Maurice Béjart / Chorégraphe du Grand Remix Hervé Robbe / Compositeur Pierre Henry / Interprètes et assistants au remontage du Grand Remix José Meireles et Alice Lada / Créateur lumières du Grand Remix François Maillot / Danseurs étudiants de l’École Supérieure du CNDC-Angers Justine Agator, Pauline Balayila, Paulin Banc, Aïda, Ben Hassine, Joséphine Boivineau, Elliot Chassin, Alejandra Escobar, Elie Fico, Evan Loison, Mathilde Maire, Elisa Manke, Lucian Mercier, Maëlle Provost, Victor Thiefin-Ricordel, Nina Tourte, Élie Tremblay, Jon Vernier-Bareigts / Reconstruction des jerks extraits de Messe pour le temps présent Dominique Genevois et Juishi Kobayashi / Crédits photo Ava du Parc
Pierre Henry
Né en 1927 à Paris, Pierre Henry étudie la musique dès l’âge de 7 ans et suit, entre 1937 et 1947, les classes d’Olivier Messiaen, Félix Passerone et Nadia Boulanger au Conservatoire de Paris. De 1944 à 1950, il compose des oeuvres instrumentales et joue en orchestre en tant que pianiste et percussionniste. Il rejoint Pierre Schaeffer en 1949. Il dirige les travaux au Groupe de recherche de musique concrète (GRMC) de la radio de 1950 à 1958.
En 1958, il fonde le studio APSOME à Paris, le premier studio privé consacré aux musiques expérimentales et électroacoustiques. Il y poursuit ses recherches pures, en y associant des techniques nouvelles et des procédés électroniques dont il est l’inventeur.
Il collabore avec les chorégraphes Maurice Béjart, George Balanchine, Carolyn Carlson, Merce Cunningham, Alwin Nikolais, Maguy Marin. Il réalise aussi des performances avec les plasticiens Yves Klein, Jean Degottex, Georges Mathieu, Nicolas Schöffer, Thierry Vincens.
En 1982, Pierre Henry crée le Studio Son/Ré. Y seront réalisés, entre autres : Intérieur/Extérieur, Xe Remix, Concerto sans orchestre, Hypermix, Dracula, Voyage initiatique (donné en mars 2005 dans le cadre des soirées « Pierre Henry chez lui III » au domicile du compositeur), Pulsations (créé en juillet 2007 à Riga) et Objectif Terre (créé en juillet 2007 au Festival d’Avignon et donné sur l’esplanade de la Défense à Paris en août 2007 devant 6 000 spectateurs).
À l’occasion de ses 80 ans, Pierre Henry compose Utopia (créé à la Saline royale d’Arc-et-Senans), Trajectoire (donné salle Olivier Messiaen de Radio France le jour de son anniversaire) et Pleins jeux (mars 2008 à la Cité de la musique de Paris).
En août 2008, 22 concerts « Une heure chez Pierre Henry » ont lieu dans le cadre du festival Paris Quartier d’Été. En octobre de la même année, Un monde lacéré est créé au Centre Pompidou en hommage au peintre Jacques Villeglé. Il compose ensuite Utopia Hip-Hop, Capriccio ainsi qu’une nouvelle version de Dieu d’après Victor Hugo, jouée par Jean-Paul Farré dans la maison de Pierre Henry du en août 2009. En hommage à Bach, il compose L’Art de la fugue odyssée, créé à l’église Saint-Eustache à Paris dans le cadre de sept concerts programmés par Paris Quartier d’Été en juillet 2011. Le Fil de la vie est créé à la Cité de la musique en septembre 2012. En 2013, il compose Fragments rituels et Crescendo. Le 8 janvier 2016 sont créés à la Philharmonie de Paris Continuo ou vision d’un futur et le Grand Remix de la Messe pour le temps présent.
Pierre Henry est resté novateur sur trois générations. Avant sa mort le 5 juillet 2017, il compose quatre oeuvres ultimes qui viennent parfaire son univers musical incomparable. Comme le dit Alain Lompech : « La réalité de la musique de Pierre Henry n’est en rien fixée par le temps ; sa force évocatrice, sa poétique aussi singulière que son humour sont peut-être ce que la musique occidentale a produit de plus inouï : la rumeur du monde faite oeuvre. »
Maurice Béjart
Né à Marseille en 1927, Béjart acquiert l’essentiel de sa formation de danseur à Paris auprès de Madame Egorova, de Madame Rousanne et de Léo Staats. Il étrenne ce bagage classique au Ballet de Vichy (1946), puis avec Janine Charrat et Roland Petit, et enfin à Londres au sein de l’International Ballet. Une tournée en Suède avec le Cullberg Ballet (1949) lui fait découvrir les ressources de l’expressionnisme chorégraphique. C’est sur des pièces de Chopin que le jeune Béjart se fait la main sous l’égide du critique Jean Laurent. Le danseur se double ainsi d’un chorégraphe.
En 1955, il se démarque avec la Symphonie pour un homme seul (musique de Pierre Henry et Pierre Schaeffer). Maîtrisant son propre langage, il s’impose au fil d’une série de créations : Haut Voltage, Prométhée, Sonate à trois… Remarqué par Maurice Huisman, directeur de la Monnaie à Bruxelles, il règle un triomphal Sacre du printemps (1959). Au Sacre, il ajoute un second succès : Boléro (1961, Ravel).
D’autres pièces enrichissent son répertoire : Neuvième Symphonie de Beethoven (1964), Messe pour le temps présent (1967), Nomos Alpha (1969), L’Oiseau de feu (1970), Chant du compagnon errant (1971). Il explore chorégraphiquement l’Orient avec Bhakti (1968), Golestan (1973), Kabuki (1986)… La musique du XXe siècle innerve nombre de ses chorégraphies : Opus 5 de Webern (1966), Stimmung de Stockhausen (1972), Le Marteau sans maître de Boulez (1973), Ballade de la rue Athina de Hadjidakis (1984). L’univers musical de Béjart embrasse aussi bien les pièces baroques que Mozart, Wagner et le groupe Queen.
Il crée le centre pluridisciplinaire Mudra à Bruxelles (1970) puis à Dakar (1977), ainsi que l’école-atelier Rudra à Lausanne (1992). Béjart assure également des mises en scène pour le théâtre et l’opéra. Dramaturge, il écrit et monte ses propres textes comme A-6-Roc (1992, théâtre Vidy-Lausanne). Il publie romans, réflexions et souvenirs : Mathilde (Julliard, 1963), L’Autre Chant de la danse (Flammarion, 1974), Un instant dans la vie d’autrui (Flammarion, 1979), La Mort subite (Séguier, 1991), La Vie de qui ? (Flammarion, 1996). Il réalise des films et répond parfois à l’appel d’institutions internationales comme l’Opéra de Paris, le Ballet de Stuttgart ou le Tokyo Ballet, leur cédant des chorégraphies existantes (Le Concours à l’Australian Ballet, L’Oiseau de feu à l’Alvin Ailey American Dance Theatre, Chant du compagnon errant à la Scala). Alors qu’il règle ce qui sera sa dernière oeuvre, Le Tour du monde en 80 minutes, Béjart décède à Lausanne en novembre 2007.
Désigné par lui comme son successeur, Gil Roman tient désormais la barre du Béjart Ballet Lausanne en qualité de directeur artistique et préside la Fondation Maurice Béjart.
Hervé Robbe Formé principalement à Mudra, l’école de Maurice Béjart à Bruxelles, Hervé Robbe débute sa carrière d’interprète par le répertoire classique et néoclassique. Il fait ses premiers pas de chorégraphe au sein de la compagnie Le Marietta secret. Douze années au sein de cette structure lui ont permis de construire et d’affiner sa démarche artistique. Puis, durant treize ans, Hervé Robbe a été directeur artistique du Centre chorégraphique national du Havre Haute-Normandie. Il porte un bilan très positif sur les projets qui y ont été menés, en collaboration avec toute une équipe. En janvier 2012, il rejoint une nouvelle structure de production : Travelling & Co. À ce jour, il a créé une cinquantaine de spectacles chorégraphiques, qui ont été diffusés en France et à l’international. La recherche autour du mouvement et les potentialités de nouvelles écritures chorégraphiques ont été au coeur de sa démarche artistique, tant au sein de sa propre compagnie que lorsqu’il répondait à des commandes pour d’autres (Ballet Rambert, Batsheva Dance Company, Opéra de Lyon, Ballet Gulbenkian, CCN Ballet de Lorraine). Il a élaboré des programmes pédagogiques pour des projets des écoles de danse : Conservatoire de Paris (CNSMDP), CNSMD de Lyon, CNDC d’Angers, Coline à Istres, CDC de Toulouse, École nationale supérieur de Marseille, APA Hong Kong, Mito Art Tower Japon. Hervé Robbe s’est toujours impliqué dans la médiation de la culture chorégraphique, auprès des publics scolaires et amateurs, ainsi qu’auprès des enseignants, médiateurs, professeurs de danse, et de leurs centres de formation référents (CEFEDEM, Centre national de la danse de Pantin). Ses projets ont donné lieu à des collaborations avec des compositeurs (Costin Miereanu, Kasper T. Toeplitz, Cécile Le Prado, Thierry Blondeau, Frédéric Verrières, Andrea Cera, Romain Kronenberg), des plasticiens (Richard Deacon, Kozue Naito), des vidéastes (Christian Boustani, Valérie Urrea, Aldo Lee, Vincent Bosc). Ce travail a suscité des partenariats avec des écoles d’art, des départements universitaires, des pôles images. Il a permis une présence de la danse dans des réseaux élargis : Ircam - Centre Pompidou, Le Fresnoy, MuMa du Havre, Biennale Arts Le Havre, Numeridanse.tv, Fondation Cartier. Le parcours artistique d’Hervé Robbe porte une culture du décloisonnement de la danse et de ses publics, parce qu’il englobe aussi bien son origine ancrée dans une tradition et une histoire que son déploiement protéiforme, innovant et pluridisciplinaire.
Pierre Henry et Hervé Robbe avec les étudiants du CNDC
Ça n’était pas rien, ce dernier week-end, que de prendre place dans la salle de concert de la Cité de la Musique à La Villette. On y passait la fouille de sécurité, signe de période fragilisée, au comble de l’incertain. Mais ces opérations s’effectuaient sous un grand portrait de Pierre Boulez, décédé quarante-huit heures auparavant. Comment signifier cette extinction d’un survivant de la Guerre froide des affrontements esthétiques de la grande modernité ? Sorte de Fidel Castro accroché jusque dans un 21e siècle largement entamé. Puis dans la salle, au beau milieu du public, Pierre Henry prend place au pupitre de sa technologie des sons. C’est un autre monstre sacré, tout en boule de cheveux et barbe blancs, lui toujours vivant pour porter le souffle de cette même époque des utopies – quoique sur un versant quasi contraire à celui du maître Boulez. La soirée recélait en son coeur une reprise de la partie strictement musicale de La messe pour le temps présent de Maurice Béjart. Les célèbres jerks de Pierre Henry enivraient alors la France en proie aux soubresauts de mai 68. On avait oublié à quel point sont brèves ces séquences musicales : dix minutes pas plus, tant la pièce développait par ailleurs un théâtre total fait de discours, d’échauffements sur le plateau, d’apports composites de toute sorte.
Le programme de La Villette a donc encadré cette séquence par deux autres développements. Tout d’abord, l’écoute d’une pièce de création, donnée par Pierre Henry, Maintenant et demain. Puis, après La messe, un Grand remix, chorégraphié par Hervé Robbe. On retrouve ici le principe pédagogique qui préside dorénavant aux études au sein du Centre national de danse contemporaine d’Angers. Les étudiants sont invités à reprendre des pièces du répertoire moderne et contemporain. Mais aussi à en interroger les écriture en expérimentant des variations, extensions, et interprétations actuelles. [...] En comparaison, les jerks de La messe pour le temps présent, ont un allant guilleret, engrammé dans toute oreille ayant traversé les décennies passées, et qui ne demandent qu’à se réveiller. On l’entend bien plus par la satisfaction d’un retrouvé que par l’interrogation d’une découverte. Quand, de surcroît, on est entouré de spectateurs empressés à vous faire savoir qu’ils étaient dans la Cour d’Honneur en 68, l’injonction de mémoire se met à peser assez lourd sur cet exercice.
Les vingt étudiants du CNDC d’Angers ne disposaient pas de tout l’espace nécessaire à leur plein déploiement, dans cette salle de La Villette conçue pour les concerts et non les ballets. Leur exécution de la partition de Béjart a semblé empesée, compacte et étouffée : satisfaisante dans la tenue des grands unissons, qui abondent, mais impuissante à incarner la fièvre sensuelle des élans émancipateurs portant cette pièce en son temps. A quelque chose défaut est bon : cette frustration donne peut-être l’occasion d’évaluer les limites de l’écriture purement chorégraphique de Maurice Béjart, plutôt standard si on la dépouille des autres résonances et composantes culturelles et politiques intégrées à la pièce. Il est aussi permis de s’interroger sur les conceptions de la transmission actuellement pratiquées par le Ballet Béjart Lausanne, directement investi auprès des étudiants pour cette reprise.
L’extension composée par Hervé Robbe a ensuite redressé la barre, d’une manière d’autant inattendue qu’il aura oeuvré dans un registre qui n’est pas spécialement le sien : soit une grande écriture ballettique de masse, avec alignements, marches cadencées, grands motifs de colimaçons, de rosaces, et ordonnancements symétriques. Mais jusque dans la tenue des corps (et accessoirement les costumes sombres à capuches), cette composition a induit une tonalité à la fois plus sèche, presque raide, tranchée et incisive, en même temps que plus dense et profondément plastique. Il a semblé que ces étudiants s’y retrouvaient bien mieux, plus vigoureusement investis dans une autonomie consciente de leur geste. Notons qu’ils ne sont plus de la génération de la libération sexuelle mais du post-sida, ni de celle de l’électronique primitive mais de la post-techno. L’actualité du Grand remix leur adresse une plateforme où tutoyer les acteurs des utopies fondatrices. Cela parut se dénouer quand, aux applaudissements, ces jeunes gens eurent l’idée de descendre tous de scène, et se dissoudre dans le public, pour acclamer Pierre Henry, lui-même noyé au milieu des rangées. Il y avait là une grande communion des gratitudes, une prise de mesure de l’immense chemin de liberté des inventions, puisant jusqu’aux décennies de l’après-guerre, pour passer par les motifs de la danse contemporaine. C’était assez immense, et fervent, de la part d’un public qui en est acteur tout autant. Et cela résonnait face aux fanatismes du moment, qui exècrent fondamentalement toute idée d’audace créative. Reste qu’on se situait sur une crête de vague initiée dans un passé désormais plutôt lointain. On continuera de chercher ce que nous indique le temps présent. Et ce devenir devrait sûrement figurer dans les préoccupations d’un centre national de danse contemporaine.
dansercanalhistorique, Gérard Mayen, le 8 janvier 2016.