On se souvient avec bonheur du joyeux bouillonnement que nous offrait en 2014 la compagnie XY avec le spectacle Il n’est pas encore minuit, petit miracle de précision acrobatique et d’humanité brinquebalante. Depuis Laissez-porter (2005), leur première création, le projet de la compagnie est inchangé : jouer avec les codes, les rythmes et les formes du porté acrobatique pour les remettre au centre du geste artistique et surtout mettre en partage les idées de chacun au sein d’un véritable collectif. Pour les accompagner dans leurs créations, ils s’adjoignent volontiers l’aide de chorégraphes pour lesquels la mise en tension de la masse et de l’individu est une notion majeure. Après Loïc Touzé, c’est au tour de Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot, de relever le défi. Dans la lignée de sa pièce Murmuration (2017) écrite pour les danseurs du Ballet de Lorraine, il lance les dix-neuf acrobates présents dans un élan ininterrompu, une nuée fluide et compacte. Les corps en état d’urgence qui la composent s’assemblent et se défont, paysage miroitant et hypnotique dans sa continuité mouvante, tel un ruban de Möbius. La pièce joue sur le déferlement, les effondrements, les trajectoires magnifiquement complexes de silhouettes noires qui se découpent sur un plateau blanc. Les prouesses acrobatiques du collectif XY se fondent avec grâce dans la poésie insufflée par des suspensions et des disparitions qui donnent à ce spectacle virtuose et vif l’épaisseur d’une méditation sur le temps.
Production Compagnie XY. / Coproductions Cirque théâtre d’Elbeuf – Pôle National Cirque en Normandie et La Brèche Cherbourg - Pôle National Cirque en Normandie, Le Phénix Scène nationale - Pôle européen de création à Valenciennes, Maison de la Danse - Lyon, MC2 Grenoble, Tandem Scène nationale, La Villette Paris, Maison de la Culture de Bourges, TEAT Champ Fleuri (La Réunion), Agora - Pôle National Cirque Boulazac Aquitaine, Les Gémeaux Scène nationale de Sceaux, Bonlieu - Scène nationale d’Annecy, Carré Magique Pôle National Cirque Bretagne Lannion Trégor, Espace des arts - Scène nationale de Chalon-sur-Saône, Le Bateau Feu Scène nationale de Dunkerque, Espace Jean Legendre Théâtre de Compiègne, Festival Perspectives, Festival francoallemand des arts de la scène Saarbrücken en Allemagne, La Coursive Scène nationale de La Rochelle. / Soutiens en résidence Le Sirque - Pôle National Cirque Nexon Limousin, Furies - Pôle National Cirque à Châlons-en Champagne Région Grand Est avec le soutien du Centre National des Arts du Cirque, Cirque Jules Verne - Pôle National Cirque et Arts de la Rue à Amiens, CCN – Grenoble, MC2 – Grenoble, Maison de la danse - Lyon, La Brèche - Pôle National Cirque en Normandie – Cherbourg, CIRCa Pôle National Cirque Auch, Tandem - Scène nationale (Douai), Cirque Théâtre d’Elbeuf - Pôle, National Cirque en Normandie, Le Phénix Scène nationale - Pôle européen de création à Valenciennes. Möbius a bénéficié, au titre de l’aide à la création, du soutien de la Région-Hauts-de- France ainsi que du Ministère de law Culture et de la Communication (DGCA). / La compagnie XY bénéficie du soutien du Ministère de la Culture et de la Communication / Direction Régionale des Affaires Culturelles Hauts-de-France, au titre de l’aide à la compagnie conventionnée à rayonnement national et international. Depuis 2017, la Compagnie XY est associée pour l’ensemble de ses projets au Phénix, Scène nationale de Valenciennes dans le cadre du Pôle Européen de création ainsi qu’au Cirque-théâtre d’Elbeuf - Pôle National Cirque en Normandie. Depuis 2021, elle est associée à Chaillot - Théâtre national de la Danse ainsi qu’à l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône. Elle est également accompagnée depuis 2016 par la Fondation BNP-Paribas.
On se souvient avec bonheur du joyeux bouillonnement que nous offrait en 2014 la compagnie XY avec le spectacle Il n’est pas encore minuit, petit miracle de précision acrobatique et d’humanité brinquebalante. Depuis Laissez-porter (2005), leur première création, le projet de la compagnie est inchangé : jouer avec les codes, les rythmes et les formes du porté acrobatique pour les remettre au centre du geste artistique et surtout mettre en partage les idées de chacun au sein d’un véritable collectif. Pour les accompagner dans leurs créations, ils s’adjoignent volontiers l’aide de chorégraphes pour lesquels la mise en tension de la masse et de l’individu est une notion majeure. Après Loïc Touzé, c’est au tour de Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot, de relever le défi. Dans la lignée de sa pièce Murmuration (2017) écrite pour les danseurs du Ballet de Lorraine, il lance les dix-neuf acrobates présents dans un élan ininterrompu, une nuée fluide et compacte. Les corps en état d’urgence qui la composent s’assemblent et se défont, paysage miroitant et hypnotique dans sa continuité mouvante, tel un ruban de Möbius. La pièce joue sur le déferlement, les effondrements, les trajectoires magnifiquement complexes de silhouettes noires qui se découpent sur un plateau blanc. Les prouesses acrobatiques du collectif XY se fondent avec grâce dans la poésie insufflée par des suspensions et des disparitions qui donnent à ce spectacle virtuose et vif l’épaisseur d’une méditation sur le temps.
Création collective Abdeliazide Senhadji, Airelle Caen, Alejo Bianchi, Arnau Povedano, Andres Somoza, Antoine Thirion, Belar San Vincente, Florian Sontowski, Gwendal Beylier, Hamza Benlabied, Löric Fouchereau, Maélie Palomo, Mikis Matsakis, Oded Avinathan, Paula Wittib, Peter Freeman, Seppe Van Looveren, Tuk Frederiksen, Yamil Falvella — Collaborations artistiques Rachid Ouramdane, Jonathan Fitoussi, Clemens Hourrière — Création et régie lumière Vincent Millet — Création costumes Nadia Léon — Collaboration acrobatique Nordine Allal — Direction de production et administration de tournée Peggy Donck, Johanna Autran et Antoine Billaud — Régie générale et son Claire Thiebault-Besombes — Remerciements Mayalen Otodon, Agalie Vandamme, Catherine Germain et Roser Lopez-Espinosa — Crédit photos Christophe Raynaud De Lage
Compagnie XY
Depuis 15 ans, la Compagnie XY interroge le langage acrobatique à travers la pratique des portés. Tout en s’appuyant sur les fondamentaux de cette technique circassienne, les artistes du collectif jouent avec les codes, les rythmes et les formes de l’acrobatie pour les remettre au centre du geste artistique. Dès lors, la Compagnie a choisi de travailler en grand nombre afin de multiplier les possibles et d’élargir son champ de recherche. Ce choix répond également à une démarche artistique qui veut interroger les concepts de masse, de foule et leurs interactions dans un même espace-temps. Plus loin, il s’agit encore de questionner le rapport de l’individu face à un groupe ou au sein d’un environnement social donné.
C’est aussi dans cette démarche que la Compagnie XY a choisi d’être un véritable collectif en mettant en partage les savoir-faire et les idées de chacun et en adoptant un fonctionnement collégial. Cette volonté permanente de s’inscrire dans une démarche de transmission et de partage dans un cadre non hiérarchique influence considérablement le travail au quotidien et devient par ce biais une composante directe des formes artistiques qui sont produites. Dans ce contexte, le collectif a choisi de se tourner vers le public à travers la création collective de grandes formes pour le théâtre, l’espace public ou tout lieu qui autorise la représentation en frontal comme en circulaire.
Les rêveries acrobatiques de la troupe XY. “Möbius” concocté avec le chorégraphe Rachid Ouramdane, tient en équilibre entre grâce et puissance.
Comme un long cri de vitalité, le spectacle Möbius, créé par la compagnie de cirque XY, en complicité avec le chorégraphe Rachid Ouramdane, tient en haleine pendant plus d’une heure. Cet exploit ne repose que sur une seule discipline, celle des portés acrobatiques, dans laquelle cette troupe française aujourd’hui repérée à l’international, s’est bâti une réputation insubmersible. Grimper sur les épaules de son partenaire pour déployer une grande échelle de corps en équilibre les uns sur les autres fait partie du vocabulaire de base de ces artistes qui relancent les codes et les attentes de leur technique depuis 2004.
Qu’apporte de si étourdissant ce nouvel opus, à l’affiche jusqu’au 28 novembre au Parc de la Villette, à Paris ? En lien avec son titre ambitieux, cette production, qui s’appuie sur la présence de 19 acrobates magnétiques, déroule un ruban continu, un mouvement infini de prouesses régulièrement régénérées par des courses en cercle. Sur une scène vide, des colonnes humaines tanguent comme des châteaux de sable, des vagues de corps se dressent et s’affalent, des forêts de bras passent à l’attaque du ciel zébré d’oiseaux, des formations stellaires explosent. Une phénoménale rêverie de chair et d’air prend forme au gré de saltos, de vrilles, de vols planés.
Ces constructions en direct de mondes jamais vus, mirages qui apparaissent et s’évanouissent en quelques coups de poignets, naviguent sur des flux musicaux et lumineux mouvants. La bande-son électronique signée par la troupe en collaboration avec Jonathan Fitoussi et Clemens Hourrière se fait légère et cristalline, plus percussive soudain. Elle enveloppe et propulse les trajectoires des acrobates. Accélérations, brusques langueurs, suspensions immobiles et reprises d’énergie se succèdent. Les rythmes coulissent, balayés par des bascules d’atmosphères. Sous la houlette de Vincent Millet, un théâtre d’ombres s’allonge démesurément, la pénombre devient blafarde, puis retrouve de la chaleur tandis que la peau des interprètes rougit sous l’effort et la tension. Acrobatie, chorégraphie, géométrie dans l’espace se combinent dans un élan organique.
Au-delà des figures audacieuses et virtuoses scandées par les applaudissements du public, Möbius se laisse contempler comme un tableau vivant abstrait. En noir sur la toile blanche du plateau, les acrobates fusent tels des jets d’encre, devenant traits, lignes et courbes, au point qu’on oublie parfois qu’ils sont des êtres humains. Les segments de peau claire tranchent sur les costumes sombres et explosent comme de la porcelaine pour retomber en pluie de particules. Lorsque la masse des interprètes se serre dans un coin, elle fait tache pour mieux se diluer. Si le beige et le blanc éclaircissent peu à peu la palette, Möbius reste somptueusement austère et grave.
Elévation et enracinement, ciel et terre… cette tension élastique entre des extrêmes est soumise à toutes les variations possibles dans Möbius. Le thème de la chute, récurrent dans les pièces de cirque contemporain, est ici souligné par des affaissements et des dégringolades ciselés, voire de faux accidents un peu exagérés. Il valorise le rapport au plateau. S’y allonger, s’y lover pour charger ses batteries et jaillir : tout rappelle combien cette discipline s’arrime fermement au sol pour mieux décoller à l’assaut des nuages.
Il y a de la puissance, évidemment, dans les portés acrobatiques de XY, mais aussi énormément de grâce. La tranquillité avec laquelle les figures s’enchaînent est nimbée de douceur, de tendresse même. Cette attention, ce soin méticuleux à l’autre dans son confort d’exécution et sa sécurité sont palpables sans ostentation. Autant de sensations délicates qui émeuvent profondément dans le climat d’aujourd’hui. L’exploit, autant individuel que collectif, signe l’engagement XY.
Rosita Boisseau, Le Monde, 11/11/2021
Möbius de la compagnie XY en collaboration avec Rachid Ouramdane
Épurée, très chorégraphique, cette création de la compagnie XY offre à leur langage acrobatique de nouvelles et généreuses échappées, sous l’impulsion de Rachid Ouramdane, qui en cisèle autant les élans que les effondrements.
Il y a une forme d’urgence dans la scène d’exposition qui ouvre Möbius : traverser le plateau en masse, jouer de la vitesse pour aller à la rencontre de l’autre, le porter haut, le faire glisser au sol… Tels des électrons libres, les 19 acrobates dessinent dans leurs courses un engrenage invisible que nul heurt ne viendra altérer. Et en quelques minutes, c’est tout l’art d’XY qui explose et sidère par sa virtuosité, son art du porté acrobatique et du vol plané, et son élan collectif. Le chorégraphe Rachid Ouramdane a trouvé en leur matière un terrain idéal pour poursuivre sa recherche sur les grands ensembles et les déplacements. L’image des nuées d’étourneaux fonctionne à bloc dans cette création. En héritier d’Odile Duboc dont il fut l’interprète, il creuse la notion d’inter-espace si chère à la première chorégraphe des Vols d’oiseaux (1981), reprise à son compte dans son précédent Murmuration, créé en 2017 avec le Ballet de Lorraine. Cette fois, la collaboration avec XY lui permet d’ouvrir un nouvel espace, celui de l’aérien. Une troisième dimension s’offre alors, dans une combinaison de trajectoires magnifiquement complexes consistant à nouer et dénouer les nuées qui surgissent puis disparaissent. Mais plus encore, le spectacle permet d’envisager l’acrobatie sous l’angle d’une déconstruction poétisée.
Ici, les interprètes proposent en effet une autre expérience de la chute. D’une tour à quatre, ils font un effondrement d’une grande beauté, quand d’autres corps viennent soutenir la descente dans un continuum qui suspend le temps. Le déclin et l’effet domino deviennent des principes chorégraphiques à faire grincer des dents les plus fervents collapsologues. Car les acrobates d’XY sont des oiseaux de bel augure : ils déplacent la prouesse vers d’autres imaginaires, sans cesse dans la reconstruction et dans la prise en charge de l’autre pour l’amener ailleurs. Un équilibre naît puis s’effondre ? Regardons alors comment il se défait, et comment on se remet d’aplomb, ensemble. Il y a toujours une main tendue, un élan transformé pour se relever. Faire corps à plusieurs, c’est aussi soigner son départ et laisser sa trace dans le corps de l’autre. Dans cette frénésie et ces surgissements s’échouent des corps à l’horizontal, qui laissent place à des empilements verticaux ; on grimpe vers le sommet, mais on parvient aussi à s’élever par la base. Le groupe devient une montagne à gravir profondément ancrée dans le sol, mais capable de jets de corps aériens en ondulations qui courbent l’espace. Des vagues se forment, la fluidité du temps et du geste nous submerge. Et nous voilà emportés dans leur sillage, bercés par les images d’une humanité en constante transformation.
Nathalie Yokel, la Terrasse, 26/09/2021