Chorégraphie Olga de Soto
Interprétation : Olga de Soto et Pascale Gigon
Elles dansent en harmonie, puis en écho parfait. Vêtues de petites robes aux couleurs de la flamme ; regards dirigés vers d’autres corps en vis-à-vis. Comme s’il fallait se lier d’aventure à des partenaires invisibles. Keersmaeker, leur aînée, installait une présence de la danse avec une élégante préméditation. Elle adressait aux spectateurs cette énergie contenue, après les avoir patiemment toisés.
Chez Olga de Soto, l’ondulation des hanches vient d’une intention imperceptible. Le mouvement ne peut surgir tout à coup. Il doit d’abord trouver son centre, puis prendre de l’ampleur. Pascale Gigon au premier plan et Olga de Soto au second adressent aux partenaires que nous sommes une invitation directe et sans équivoque : le regard investi et la tête immobile installent dans nos corps une respiration silencieuse.
L’une, Pascale, les yeux doux-brillants et le visage diaphane, beau comme les personnages de Botticelli, surprend par une énergie rapide comme l’éclair. L’autre, Olga, le regard empreint d’une fougueuse détermination, contient une énergie éminemment sensuelle. L’une et l’autre dansent en accord parfait, et pourtant de façon très personnelle. Lorsque le bassin entraîne les bras et les jambes, puis les yeux, la tête et les cheveux, Pascale Gigon met de l’accent là où Olga de Soto retient de manière subtile le mouvement qui ne demande qu’à grandir. L’espace du geste devient inventif. Les « énergies » sont précises, les doigts incisifs. Les pieds plantés dans le sol, les deux danseuses « travaillent » sur des directions spatiales dans tous les sens du corps.
Costumes noirs et sobres pour ne rien oublier de la beauté du corps, le deuxième duo est construit sur une architecture complexe. Les forces sont en opposition sur l’axe de gravité qui devrait normalement maintenir le corps, debout sur ses deux pieds. Ici l’on joue sur les contraires : suspension d’une jambe, appui sur l’autre, bras dirigé vers le bas. Les doigts qui effleurent le sol avec précision inversent le sens du poids. La gestuelle entre alors dans l’ordre de l’imaginaire. Le corps surpris dans des lachés que l’on attend dans les membres, libère ses tensions dans le souffle où le mouvement a trouvé naissance.
Ce mouvement répété à l’infini est la résurgence que la terre libère de ses entrailles. Le centre inaccessible du rocher se prolonge dans l’eau qui jaillit. De la même façon, les danseuses répètent le mouvement ; l’une développant l’intention que l’autre a initiée avant elle.
Et la musique joue dans ce troisième duo un rôle primordial pour appuyer la fulgurance du geste, jeté dans l’espace comme le trait que le peintre lance sur la toile. On ne sait d’où vient le trait. On ne sait pourquoi il commence ici et pourquoi il s’arrête là. Pour autant le geste est précis et suspendu à une force indicible qui met le corps en attente de la pensée. Ce qui en résulte n’appartient désormais ni au peintre ni au danseur. La danse met en relation étroite le corps avec le temps et l’espace qui l’ont fait naître. Et naissent avec lui les développements de l’imaginaire qui lui sont dignes. Les lignes de lumière que le corps trace dans l’espace sont des chemins de mystère dans lesquels on entre et sort. Des limites extrêmes traversées depuis des lieux inhabités. Là où le corps devient un fluide dessiné dans un frémissement silencieux.
A 28 ans, Olga de Soto invente son langage. En venant jouer dans la cour des grands, elle affirme aujourd’hui que la danse contemporaine n’a pas fini de nous surprendre.