« Il y a quelque chose de magnifiquement obstiné dans le travail
de Gaëlle Bourges » (Gérard Mayen) : cette chorégraphe n’a de cesse
d’explorer l’histoire de l’art, comme pour révéler l’ordre idéologique des
représentations. Depuis 2009 et sa conférence dansée Je baise les yeux,
où elle et ses comparses décrivent d’une façon drôle et pertinente les
techniques d’excitation qui transitent par le regard, la chorégraphe démonte
« la machine à produire du désir hétéro et des stéréotypes ». Elle s’applique,
pièce après pièce, à déployer une petite histoire de l’oeil en tendant les
rapports entre peinture et représentation des corps, multipliant les liens
entre récits d’histoire de l’art, récits fictifs et lecture critique des oeuvres –
le voeu étant d’observer si la représentation s’effondre. Et s’il reste quelque
chose dans l’oeil après.
Son nouveau spectacle, A mon seul désir, prolonge le voeu. Il fait référence à la tapisserie La Dame à la licorne, visible au musée du Moyen
Âge à Paris. Le spectacle s’ouvre sur un long couloir de déambulation
où quatre performeuses s’ingénient à faire apparaître la tenture, usant
de cambrures, figurant à l’aide de masques le bestiaire symbolique de la
tapisserie médiévale. Un récit accompagne les tableaux, les postures, entre
dérive poétique et critique esthétique, avant le basculement du visible dans
un ballet opaque de farandoles lentes, où se multiplient les corps.
« Il y a quelque chose de magnifiquement obstiné dans le travail
de Gaëlle Bourges » (Gérard Mayen) : cette chorégraphe n’a de cesse
d’explorer l’histoire de l’art, comme pour révéler l’ordre idéologique des
représentations. Depuis 2009 et sa conférence dansée Je baise les yeux,
où elle et ses comparses décrivent d’une façon drôle et pertinente les
techniques d’excitation qui transitent par le regard, la chorégraphe démonte
« la machine à produire du désir hétéro et des stéréotypes ». Elle s’applique,
pièce après pièce, à déployer une petite histoire de l’oeil en tendant les
rapports entre peinture et représentation des corps, multipliant les liens
entre récits d’histoire de l’art, récits fictifs et lecture critique des oeuvres –
le voeu étant d’observer si la représentation s’effondre. Et s’il reste quelque
chose dans l’oeil après.
Son nouveau spectacle, A mon seul désir, prolonge le voeu. Il fait référence à la tapisserie La Dame à la licorne, visible au musée du Moyen
Âge à Paris. Le spectacle s’ouvre sur un long couloir de déambulation
où quatre performeuses s’ingénient à faire apparaître la tenture, usant
de cambrures, figurant à l’aide de masques le bestiaire symbolique de la
tapisserie médiévale. Un récit accompagne les tableaux, les postures, entre
dérive poétique et critique esthétique, avant le basculement du visible dans
un ballet opaque de farandoles lentes, où se multiplient les corps.
CONCEPTION ET RÉCIT GAËLLE BOURGES / DANSE CARLA BOTTIGLIERI, GAËLLE BOURGES, AGNÈS BUTET ET ALICE ROLAND / AVEC CARLA BOTTIGLIERI, GAËLLE BOURGES, AGNÈS BUTET ET ALICE ROLAND OU MARIANNE CHARGOIS / AVEC LA PARTICIPATION DE 34 VOLONTAIRES POUR LE BESTIAIRE FINAL (IDÉALEMENT) / CRÉATION MUSIQUE XTRONIK ET ERWAN KERAVEC / CRÉATION LUMIÈRE ABIGAIL FOWLER ET LUDOVIC RIVIÈRE / CRÉATION COSTUME CÉDRICK DEBEUF, ASSISTÉ DE LOUISE DUROURE / ACCESSOIRES CHRYSTEL ZINGIRO / MASQUES KRISTA ARGALE / RETOUCHE MASQUES LAPIN CORINNE BLIS / RÉGIE SON RÉGIE GÉNÉRALE STÉPHANE MONTEIRO / ADMINISTRATION PRODUCTION DIFFUSION RAPHAËL SAUBOLE
CRÉDIT PHOTO DANIELLE VOIRIN
Première festival « Les Inaccoutumés
», Ménagerie de Verre, Paris,
2&3 décembre 2014 / Production
déléguée Os / Co-production/
Accueils-studio Ballet du Nord -
CCN de Roubaix Nord-Pas de
Calais - direction Olivier Dubois,
CCN de Tours - direction Thomas
Lebrun, Festival Rayons Frais/
Tours / Avec le soutien du Ministère
de la culture et de la communication
DRAC Île-de-France
au titre de l’aide au projet, de
l’ADAMI - société des artistes-interprètes,
du Vivat - scène
conventionnée d’Armentières dans
le cadre de sa politique de résidences,
de la Ménagerie de Verre
dans le cadre de Studiolab, de La
Briqueterie - CDC du Val de Marne
pour le prêt de studio, de La Halle
aux Cuirs - La Villette pour un
accueil en résidence.
GAËLLE BOURGES
Après des études de lettres modernes, Gaëlle Bourges signe et cosigne des pièces de danse avec la
Compagnie du K et le Groupe Raoul Batz (aujourdʼhui devenu association Os). Entre 2000 et 2005, la
série de performances Homothétie 949 ou les contours progressifs de lʼindex 10 du Groupe Raoul Batz
était une étude sur le corollaire entre lʼinvention de la perspective centrale, lʼanatomie, la naissance de la
scène dite à lʼitalienne, les automates, et le cogito de Descartes. Le travail de dissection du regard, cher
à Gaëlle Bourges, était lancé. Ainsi, étudiant le rapport entre lʼoeil du spectacteur et le corps en
représentation, Gaëlle Bourges a composé le triptyque Vider Vénus, constitué de Je baise les yeux
(2009), La belle indifférence (2010) et Le Verrou, figure de fantaisie attribuée à tort à Fragonard (2013),
mais également En découdre (un rêve grec) en 2012, Un beau raté en 2013 et A mon seul désir en 2014.
Cette dernière création plonge dans les six panneaux de la tapisserie connue sous le nom de La Dame à
la licorne. Parallèlement Gaëlle Bourges a créé, fin octobre 2014 à la Tanzhaus de Düsseldorf, 59,
dʼaprès des archives de lʼindustrie textile à Roubaix dans le cadre du projet européen Recording Fields,
initié par le Ballet du Nord / CCN de Roubaix Nord-Pas-de-Calais, la Tanzhaus de Düsseldorf
(Allemagne) et le Silesian Dance Theatre de Bytom (Pologne).
Elle intervient par ailleurs sur des questions théoriques en danse de façon ponctuelle, elle est diplômée
en Arts du Spectacle mention danse - Université Paris VIII, et en « Education somatique par le
mouvement » - École de Body-Mind Centering. Elle a également été régisseuse plateau à la BNF, a
travaillé dans un théâtre érotique pendant deux ans et demi et chanté dans plusieurs formations
(comédie musicale pour enfants, groupe glamʼpop, etc.).
Le statut de « vierge » dans la culture européenne (mais pas seulement) est lʼapanage des femmes -
vierge Marie oblige ; ou plutôt : on sʼest toujours soucié plus de la virginité des femmes que de celles des
hommes. En témoigne une iconographie épaisse de plusieurs siècles, qui tapisse nos imaginaires de
déflorations (de femmes), ou dʼabsence de déflorations, justement (enchaînement sans fin de Maries).
Et puisquʼil sʼagit dʼun tissage profond et ancien de nos représentations, nous avons choisi de desserrer
la trame dʼun ensemble fameux de tapisseries, connu sous le nom de La Dame à la licorne, réalisé dans
les dernières années du XVe siècle et visible au musée du Moyen-âge à Paris. La tenture, dans ses six
panneaux indépendants, montre une demoiselle richement parée, occupée à diverses actions et toujours
accompagnée dʼune licorne sagement attentive. Or la licorne, créature fabuleuse au corps de cheval, tête
de chèvre, et dent de narval en guise de corne, est symbole de chasteté, et ne peut donc apparaître si
paisible quʼaux côtés de jeunes filles chastes, précisément. Nous y revoilà.
La fin du Moyen-âge est riche dʼhistoires de chasses à la licorne organisées autour de la virginité des
femmes : on attire lʼanimal sauvage dans une clairière en y plaçant une vierge dont lʼodeur sert dʼappât.
Amadouée, la bête sʼapproche puis se couche en toute confiance sur le sein de la fille tandis que le
chasseur, jusque là caché, bondit. Car lʼattribut de la licorne - sa longue corne filant droit et haut vers le
ciel - est objet de convoitises, étant censée guérir les empoisonnements, forts à la mode en Occident
entre le XIVe et le XVIIe siècle. Pourtant cette corne est aussi « une espèce de complexe aigu phallique
», selon lʼironique formule de Salvador Dali ; en tout cas un signe érotique évident pour beaucoup de
commentateurs de lʼoeuvre, même les plus sérieux.
Que convoite-t-on donc ? La virginité ou la vierge ? Les deux à la fois ? Alors le couple jeune fille/licorne
figure- t-il la chasteté, ou au contraire une allégorie du désir charnel, dʼautant plus irrépressible quʼil est
sous-tendu par lʼexcitation (historique) à défricher une terre immaculée ?
Les historiens de lʼart sont en tout cas dʼaccord sur un point : les cinq premiers panneaux de la tenture
figurent les cinq sens, selon une hiérarchie définie par la littérature médiévale (du plus matériel au plus
spirituel, ou, dans une perception contemporaine : du point distal au point proximal par rapport au
cerveau - « lʼâme » dans les années 1500), soit : le toucher, le goût, lʼodorat, lʼouïe, la vue. Lʼoccasion
pour les quatre performers de dresser cinq tableaux en glissant dans la tapisserie - fleurs, bêtes, jeune
fille sur fond rouge – figurant ainsi les allégories que perce un récit oscillant entre éléments descriptifs et
décollements hallucinatoires.
La sixième tapisserie, qui figure le sixième sens, file lʼambivalence – monnaie courante dans lʼart du
Moyen- Âge : baptisée Mon seul désir au regard de la devise quʼon peut y lire (sans compter le A et le I
qui encadrent la devise, ou la promesse), on y voit la jeune dame, toujours flanquée dʼune licorne, qui
semble hésiter entre deux actions : choisir un des bijoux somptueux présentés à elle dans un coffre, ou
au contraire déposer définitivement son collier, dans un geste de dénuement. De quel “seul désir” sʼagit-il
donc ?